Lorsque j’étais enfant, je me souviens avoir passé les vacances d’été dans un village suisse chez mon oncle. Un après-midi, il m’a demandé d’aller en ville faire les courses. Je suis revenu en pleurant. Lorsqu’il m’a demandé ce qui s’était passé, je lui ai répondu que je ne comprenais pas pourquoi tous les gens que je croisais se moquaient de moi. À cette époque, je ne comprenais pas que les gens pouvaient sourire par politesse, simplement pour être agréable. Ce n’est pas dans notre culture ici en Pologne.

Voilà ce qu’Adam nous a dit lorsque nous lui avons expliqué que nous étions déstabilisés de ne pas voir les gens nous rendre les sourires que nous leur donnions. Adam et Anna sont des gens très souriants et agréables, ils sont parfois déçus de voir que les choses évoluent si lentement dans leur pays. Dans les grandes villes, les gens sont plus souriants, nous expliquent-ils, tandis que dans les campagnes et les petits villages, l’héritage de l’URSS est encore très présent. Ils se souviennent encore des années où tout était gris et triste en Pologne. Anna nous raconte sa jeunesse, ses parents qui, lorsqu’ils faisaient les courses, devaient s’en tenir aux rations de viande qui leur étaient attribuées par le gouvernement. Depuis qu’ils ont obtenu l’indépendance en 1991, les choses évoluent pour le mieux, lentement.

Pour abreuver les chèvres, Anna fait des allers-retours chaque matin avec des seaux remplis d’eau entre la maison et la bergerie. Pour lui éviter cela, Adam nous a demandé de creuser une tranchée dans laquelle il fera passer l’eau et l’électricité pour alimenter la bergerie. La mission s’annonce colossale. Leur terrain est très argileux et chaque coup de pelle se plante dans le sol comme dans une cuillère à café dans un pot d’Häagen-Dazs tout juste sorti du congélateur. Il nous faut piocher et creuser 25 mètres de tranchées sur 40 cm de profondeur. Pour commencer, Adam utilise un tracteur auquel il accroche un outil qui semble vieux de cent ans et qui trace un sillon dans la terre compacte. Il tente un deuxième passage, puis un troisième et tout s’écroule. Le tracteur s’embourbe dans la tranchée, ramenant toute la terre là où elle était. Nous voilà revenus au point de départ. À ceci près que les passages du tracteur ont tassé l’argile, rendant le sol encore plus compact. Manon et moi nous armons de la pioche, de deux pelles, et surtout de beaucoup de courage, et nous nous mettons à creuser. À deux, nous avons réussi à dégager un maximum de terre entre 11h et 15h. Nous avons tous les deux le dos en compote. Alors que nous creusons, les enfants courent autour de nous pour attraper des vers de terre qu’ils utiliseront plus tard pour pêcher. Nous étions chargés de les prévenir si nous tombions sur des spécimens de belle envergure. Nous avons donc essayé d’être attentifs, mais ce que nous avons trouvé était bien plus surprenant que des vers de terre…

Nous sommes tombés sur des ossements humains. Une phalange, une clavicule, un bout de tibia… on a trouvé de tout. À chaque trouvaille, les enfants étaient comme fous, ils nous prenaient le bout de squelette des mains et couraient dans leur chambre pour l’ajouter à leur collection. Lorsque Adam nous a rejoints, nous lui avons évidemment demandé des explications sur ces trouvailles morbides. D’un air grave, il nous a répondu que certains volontaires workaway n’avaient pas été très corrects avec lui. Qu’il avait dû les faire disparaître.

S’il y a bien une chose que nous avons compris depuis que nous sommes arrivés ici, c’est qu’Adam aime rire. Les os que nous avons trouvés remontent en réalité au Moyen Âge. Le terrain sur lequel Adam a grandi était, à cette époque, utilisé comme cimetière. C’est un peu glauque mais, personnellement, je préfère cette version.

Nous nous rendons en cuisine pour aider Anna à préparer le déjeuner, puis nous mangeons tous ensemble. Pendant la matinée, Eva et Maria, les deux autres volontaires, ont travaillé de leur côté. Tout le monde a l’air épuisé. Nous mangeons dans le calme. Je résiste à l’appel de la vodka au risque de décevoir nos hôtes. L’après-midi, Manon et moi sommes deux légumes. On compare nos douleurs sciatiques. Nous avons un peu poussé aujourd’hui, en espérant être en repos pendant le week-end, mais Adam nous a demandé si nous serions d’accord de continuer à creuser un peu le samedi. Bien sûr, nous avons accepté. Après une bonne nuit de sommeil, nous aurons repris des forces !