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Hier soir mon matelas a décidé de faire des siennes aussi, les boudins ont pété donc je me retrouve avec une bulle d’air de la taille d’un coussin au niveau des omoplates. Agréable pour lire, mais pour dormir un peu moins… Je me réveille déjà fatiguée ce matin, mais je me motive. Malheureusement on va pédaler dans le sable et les pavés toute la journée, on n’en revient pas de voir autant de sable dans ces forêts. On n’est pas au bord de la mer pourtant… J’ai poussé une bonne partie de la journée car je m’enfonçais. Je ne sens plus mes poignets à la fin de la journée, même Flavien a poussé sur certaines parties ! Une journée épuisante où on n’a pris aucun plaisir. Heureusement, notre arrivée à Olsztynek après 53km chez notre 2ème warmshowers, Olga, a changé la donne ! Elle a une grande maison avec une dépendance qu’on aura que pour nous cette nuit. Elle nous a proposé de partager son repas à 16h, on se retrouve autour d’une assiette de pâtes à l’écouter attentivement nous expliquer l’histoire de la Pologne durant les deux guerres mondiales. C’est réellement passionnant ! Elle avait auparavant une ferme avec toutes sortes d’animaux, mais depuis elle a divorcé et souhaite se reconvertir dans les massages et la culture d’herbes médicinales. Le conseil qu’elle nous a donné : « ne pas forcer la nature. » Et c’est un peu comme on envisage notre ferme déjà. Elle nous a emmené au lac avec son fils où ils ont fait leur traversée quotidienne pendant qu’on observait le paysage avec Flavien, c’était si paisible. Puis elle nous a fait faire un tour des environs, avant de rentrer et de nous faire faire un tour de son jardin. On a mangé des groseilles, des cassis et des framboises (desquelles je me suis particulièrement goinfrée, j’avais 8 ans à nouveau !). Demain matin on prendra le petit déjeuner avec elle, on a déjà hâte de continuer à papoter !

En partant ce matin, nous n’avions pas assez d’eau pour faire notre thé et notre café habituels. Nous nous sommes préparés assez rapidement pour rejoindre la route que nous avions quittée hier. Cette même route qui nous avait donné du fil à retordre à cause de son revêtement sablonneux. Donc, dès les premiers kilomètres, on s’épuise. Soit on insiste à rouler et on manque de se casser la figure tous les deux mètres, soit on pousse les vélos, mais on a un peu moins de 60 km à faire aujourd’hui et une « Warmshowers » nous attend. On ne peut clairement pas pousser les vélos sur 60 km…

À cela s’ajoutent les insectes qui tournent par dizaines devant nos yeux, la chaleur et le manque de caféine qui se fait ressentir pour ma part. La journée commence mal.

Un peu plus loin, lorsque nous sortons de cette interminable route de sable, nous sommes surpris de tomber sur une route pavée en pleine forêt ! C’est tout aussi l’enfer de rouler sur cette route, et on manque de glisser plusieurs fois. Sur les bords, il y a des bandes de sable. Nous avons le choix entre les pavés ou le sable, autant dire entre la peste et le choléra ! Le temps passe et on avance presque pas.

Après des heures d’effort, nous voyons enfin le bout de ce calvaire en approchant du village d’Olsztynek, où Olga, notre hôte Warmshowers, devrait nous recevoir. Nous avons plusieurs fois décalé notre heure d’arrivée en voyant que nous n’avancions pas comme nous l’avions imaginé. Chaque fois, elle nous a répondu avec beaucoup de gentillesse et de compassion qu’il n’y avait aucun problème pour elle. La dernière portion de la route n’est pas plus simple ! Notre GPS nous fait passer dans des champs de blé où l’on distingue à peine un chemin. Le vent se lève face à nous. Ma migraine due au manque de caféine ne m’a pas quitté depuis le matin, bien qu’en arrivant dans la ville, la première chose que nous avons faite était d’aller acheter un café glacé. Nous approchons de la maison d’Olga et je me sens épuisé, j’espère que la soirée ne sera pas longue…

Olga nous a tout de suite mis à l’aise. Elle nous a ouvert la porte d’une magnifique maison avec une immense baie vitrée. C’est un logement qu’elle loue sur Airbnb, mais comme elle n’a personne ce soir, plutôt que de nous laisser une chambre, elle nous laisse cette maison rien que pour nous. Il n’est que 16h, mais elle nous invite à partager un plat de pâtes aux légumes dans sa cuisine. Nous la suivons à travers un jardin verdoyant où deux chiens montent la garde en nous aboyant dessus. Il va leur falloir un petit temps avant qu’ils viennent nous réclamer des gâtés, nous explique-t-elle. À table, nous discutons de son pays. Elle nous explique d’abord pourquoi nous avons roulé sur des routes pavées en pleine forêt ; cette partie du pays était constituée de plusieurs villages avant la Seconde Guerre mondiale. Beaucoup de gens vivaient ici. Après la guerre, la plupart d’entre eux sont partis et ont laissé leurs maisons à l’abandon. Des années plus tard, le gouvernement polonais a décidé de faire pousser une immense forêt sur ces vestiges.

Elle nous raconte ensuite que la Pologne a obtenu l’indépendance après la Première Guerre mondiale, mais qu’elle fut ensuite attaquée par la Russie, puis par l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale, et qu’à ce moment-là, la Russie n’était plus considérée comme un opposant, mais comme un allié… Bref, ce pays a une histoire tragique en relation avec les deux guerres mondiales, et les Polonais semblent vivre avec ce lourd héritage.

Nous avons fini notre assiette de pâtes et nous avons besoin de prendre une bonne douche, alors nous nous retirons. Olga nous propose alors de l’accompagner, elle et son fils, au lac à quelques minutes de voiture d’ici. Elle y va tous les jours pour nager un peu. Ma première réaction est de décliner, je me sens épuisé, mais après la douche, on se dit avec Manon que sa compagnie est trop agréable pour ne pas en profiter.

Nous partons donc tous les quatre en voiture jusqu’à ce lac paisible, connu uniquement des gens du coin. Nous nous asseyons sur un banc pendant qu’Olga fait ses longueurs. Des enfants jouent dans l’eau, et les ados font des plongeons depuis le ponton. Un père apprend à sa fille comment pêcher. Il fait bon vivre. Cette soirée est parfaite.
Sur le retour, notre hôte fait un détour pour nous parler de la petite ville d’Olsztynek.

En revenant chez elle, nous n’arrivons plus à nous séparer. On discute de jardinage. Elle est vétérinaire de formation et a tenu une ferme pendant des années avec son ex-mari. Aujourd’hui, elle vit seule avec ses trois enfants, et son potager lui sert à nourrir sa famille. Elle nous fait découvrir ses cultures en nous invitant à croquer dans tous les fruits qui se trouvent sur notre chemin : fraises, framboises, groseilles, cassis… C’est une explosion de saveurs ! Le soleil se couche en éclairant le verger de ses derniers rayons ambrés. Il fait bon. J’aimerais que ce moment ne connaisse jamais de fin. Okay pour le sable, okay pour les pavés, okay pour les insectes, okay pour la chaleur, okay pour la peste, okay pour le choléra… si au bout de tout ça, il y a le sourire d’une femme généreuse, heureuse de partager les fruits de son travail et de sa passion avec nous.